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· PUBLISHED · UPDATEDLes agricultures urbaines qui se développent à l’échelle mondiale sont des « extraits de campagne » qui pénètrent la ville, réactivant l’utopie de la cité fertile. Or si l’on connaît mieux la périurbanisation, il faut désormais s’intéresser à laruralification. Jamais nommé ainsi, ce phénomène social désigne l’insertion de l’activité agricole dans un espace qui ne lui est pas dédié et peut-être à des modes de pensée empruntés au monde rural.
Avec l’essor des agricultures urbaines lié aux préoccupations sociales pour le développement durable et la nature, aux crises de confiance alimentaire, la ville (re)devient progressivement un territoire « jardiné » incrusté de petits terrains potagers ou de plus vastes ensembles maraichers. De sorte que les formes de production alimentaire ainsi que leur localisation sont remises en question. La ruralification revêt aussi un caractère paysager dans la mesure où elle modifie le décor citadin en créant de nouvelles trouées de verdure qui s’ajoutent aux squares et jardins paysagers qui organisaient la trame verte. Elle témoigne enfin d’une inversion des dynamiques de prédation territoriale jusque là en sens unique de la ville vers la campagne.
C’est en fait une nouvelle alliance entre la ville et la campagne qui se met en place. Elle génère des interpénétrations territoriales méconnues, forme de nouvelles hybridations, brouille des frontières spatiales et invite à la recomposition des catégorisations spatiales établies. Elle établit en outre la diversification des usages du sol en agglomération ; avec le projet agri-urbain, les agricultures urbaines prennent progressivement place dans l’organisation de la planification citadine des métropoles. Elles deviennent un nouvel objet de la gouvernance territoriale.
Pas une agriculture urbaine, mais plusieurs…
Si les jardins collectifs, aujourd’hui partagés ou familiaux, en sont un symbole, l’agriculture urbaine s’exprime diversement dans ses actions et ses intentions. Il y a donc plusieurs agricultures urbaines à distinguer, en premier lieu en fonction du critère de la localisation de l’activité de production : le territoire de l’agriculture urbaine est en fait celui de la ville dense et agglomérée, et non celui de la périphérie, territoire spécifique d’une agriculture périurbaine spécifique. Ensuite l’intention de l’activité permet de différencier plusieurs grands types d’agriculture :
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D’abord, les agricultures urbaines professionnelles, portées par des exploitants « agriculteurs urbains » : elles sont surtout maraichères (horticulture, pépinière…), même si elles englobent l’apiculture et l’élevage de petits animaux, et elles poursuivent une intention de production souvent alimentaire ; elles entretiennent avec la ville, leur principal marché de consommation, un rapport économique, marchand et commercial.
- Ensuite, les agricultures urbaines non professionnelles, qui sont en fait les plus connues. Lorqu’ils en parlent, les médias évoquent volontiers les jardins potagers installés sur les toits ou les moutons qui pâturent et entretiennent un jardin public. Ce sont des agricultures centrées sur la production de services sociaux, environnementaux et paysagers. Elles sont souvent portées par le tissu associatif et/ou des organismes sociaux collaborateurs des collectivités qui les utilisent pour promouvoir le lien social, ou comme levier pour l’insertion ou l’éducation des enfants à l’environnement. Les associations y font régulièrement référence pour s’opposer au modèle intensif de production agricole et promouvoir le plaisir de produire soi-même sans intrants chimiques. Elles ont donc une finalité largement sociale.
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Enfin, des agricultures urbaines « hybrides » ou « mixtes », pas plus amatrices que professionnelles, portées par des structures privées qui poursuivent des intentions à la fois productives et sociales. Le jardin peut alors investir l’espace privé de l’entreprise : c’est, par exemple, le cas du potager situé sur le toit de la Clinique Pasteur à Toulouse qui permet la diminution des coûts d’achats alimentaires extérieurs, procure des occasions de rencontre entre agents durant leur temps de pause et devient un outil complémentaire de la thérapeutique classique proposée aux patients.
Une réponse à des exigences multiples
Professionnelles ou amatrices, peut-être jouant de l’utopie sociale, les agricultures urbaines s’ancrent souvent sur l’idée d’un possible approvisionnement « ultra local » et sur la réduction des maillons des réseaux de distribution, se présentant alors comme une réponse adaptée aux nouvelles exigences sociales de consommation.
Ce mouvement exprime aussi une nouvelle demande sociale de nature dans l’espace urbain, moins décorative et contemplative, différente de celle jusque là proposée par les paysagistes. C’est une nature « agricole » qui fait du plan de fraisier ou du pied de tomate un nouvel élément de décor et d’environnement. Désormais, la proximité d’un petit verger, d’un jardin partagé, d’installations maraichères ou de ruches est valorisée comme un élément qui contribue à la qualité du paysage.
Les agricultures urbaines sont enfin une intervention sociale forte sur et dans l’espace urbain qui engage les citadins plus fermement encore dans leur demande et leur besoin de verdure et, au-delà, d’une nature géographiquement plus proche et donc plus accessible sur un court laps de temps.
Un soutien timide et diversement distribué
Le soutien n’est cependant pas encore toujours au rendez-vous. Si les exploitations non professionnelles bénéficient de l’appui d’un milieu associatif actif et porteur de projets « concrets » de jardinage auprès des collectivités, les exploitations professionnelles ne peuvent guère compter sur le soutien des institutions agricoles. Plusieurs raisons entremêlées peuvent expliquer ce désintérêt de la corporation agricole. L’agriculture, « la vraie », est pour elle d’abord une affaire de campagne et la ville n’est pas le lieu approprié de la production agricole. Le changement de paradigme nécessite du temps. Car ainsi que le souligne A. Poupart, « l’irruption de l’agriculture dans la cité nous apparaît de prime abord comme une rupture fondamentale dans notre façon de concevoir non seulement la ville, mais aussi l’agriculture, l’agriculteur lui-même et la campagne » («favorables au développement de l’agriculture: image paroxystique de mondes agricoles en mutation », Laboratoire d’urbanisme agricole, Toulouse).
Ces représentations dominantes dans le milieu agricole – et même au-delà – soulignent la force et la solidité d’un conservatisme rural qui perdure. Cette résistance est aussi nourrie par les médias qui construisent une image partielle et tronquée de l’agriculture urbaine, la faisant apparaître comme une pratique originale, voire farfelue ou à la mode, mais sans avenir économique véritable. Et pour l’instant aucune étude chiffrée ne vient véritablement lever le doute du monde agricole, même si le Canada démontre avec les fermes LUFA la faisabilité et le potentiel productif et économique de l’activité agricole en milieu urbain.
Une agriculture possible en ville ?
Avec les agricultures amatrices, les collectivités ont compris l’importance du bénéfice social à tirer, et donc du partenariat à consolider avec les associations locales. En encourageant l’insertion des agricultures urbaines professionnelles, elles voient l’opportunité de renforcer et d’intensifier autrement la présence de la nature en ville, et par conséquent de satisfaire la demande sociale ainsi que la commande écologique de développement d’une trame verte. Elles y décèlent surtout l’occasion d’organiser en ville une autre filière économique, génératrice d’emplois.
Pour l’instant les fermes urbaines qui parviennent à s’installer au cœur des villes ont profité de l’intervention de la collectivité locale qui préempte et rachète les terrains ou les préserve quand elle est déjà propriétaire. Par la sécurisation du foncier, cette dernière affirme des orientations favorables au développement de l’agriculture. Parfois cette sécurisation se réalise avec le concours d’un tiers, par exemple tel ou tel mouvement. La maitrise du foncier est en fait au cœur du projet agri-urbain à mettre en place. Son succès dépend d’abord de la capacité des collectivités à s’engager et à mettre en œuvre par le plan d’urbanisme une politique de gestion foncière offensive, plus favorable à l’agriculture qu’à l’artificialisation, qui garantit la sécurisation du foncier à long terme pour les candidats à l’installation. La réussite du projet agri-urbain tient aussi à la garantie de la viabilité économique de l’exploitation. Elle relève en fait d’un modèle de production agricole à inventer qui réunit tous les acteurs de l’agriculture urbaine pour organiser sa gouvernance, sa mise en œuvre technique et sa cohabitation avec les populations urbaines.
Si l’installation de l’agriculture en ville vient principalement questionner l’organisation spatiale à mettre en œuvre pour lui trouver une place ainsi que le type de modèle agricole à construire, elle interroge également le rôle de cette nouvelle forme de nature dans la ville de demain, et notamment son rôle paysager. Les agricultures urbaines permettent en effet la construction de configurations physionomiques inédites et proposent la mise en place de nouveaux décors qu’il reste à étudier et à qualifier.
Les agricultures urbaines témoignent indiscutablement d’une perméabilisation en cours de la ville à l’agriculture et d’un usage du sol qui s’y diversifie. Le chemin à parcourir paraît long et particulièrement dépendant des dynamiques de terrain et des dialogues à construire, de la médiation à proposer à tous les acteurs concernés. Il reste à organiser de nouvelles méthodes de collaboration entre acteurs et territoires.
- Collectif, 2015, Culture urbaine : aménager et nourrir la ville, Montréal : Les Editions en environnement VertigO, ISBN livre électronique : 978-2-923982-96-0.
- Guiomar X., C. Aubry C. et al., coord., 2015, Agricultures urbaines, Pour, n°224, 442 p.
- Paddeu F., 2012, « L’agriculture urbaine dans les quartiers défavorisés de la métropole New-Yorkaise : la justice alimentaire à l’épreuve de la justice sociale », Vertigo, vol.12, n°2.